Article Sketch المقال ( Septembre )
Article : Sketch
Nous, les impurs !
Écrit par : Dr. Yasmine Sarwat
Maître de Conférences au Département de Français
Faculté de Pédagogie
Université d'Alexandrie
Deux étudiantes en
4ème année, département de français, faculté de Pédagogie
Etudiante 1 :
Bonjour tout le monde !
Bienvenue sur la planète FRANCE !
La France
que nous adorons, qui nous inspire, qui nous fait rêver…
La France, berceau de cette langue qui nous poursuit depuis dix-huit
ans ! Deux ans de maternelle, douze
ans d’école et quatre ans d’université ! Dix-huit ans !!!
Dix-huit
ans qu’on se lève chaque matin pour accomplir une sacrée mission : écrire
une phrase complète sans fautes !! Et pensez-vous que notre objectif soit
finalement atteint ? Ben non !
Car le français n’est pas une langue comme les autres… D’ailleurs,
admirez déjà le mot « Français »… Huit lettres pour prononcer
deux syllabes ! « A »
« I » « S »
en fin de mot pour dire tout simplement « è », alors qu’un « e
accent grave » aurait très bien fait l’affaire… Mais non ! Nous
sommes des privilégiés ! Comment se contenter d’un é ou d’un è lorsqu’on a
la capacité de créer des combinaisons sonores ? Pourquoi faire simple
quand on peut faire compliqué ???? Pourquoi ?? Pourquoi ?
Est-ce que
vous l’avez, vous, la réponse ?
Bon, je
vais vous la donner, moi, la réponse !
Parce que le français c’est la langue du luxe, du raffinement, de l’élégance… parce qu’elle permet de créer des phrases aussi longues que l’Avenue des Champs-Elysées, aussi fluides que les eaux de la Seine, aussi colorées que les palettes des artistes de Montmartre, aussi harmonieuses qu’un concert symphonique à l’Opéra Garnier, aussi symétriques que les jardins de Versailles, aussi hautes en nuances que la Tour Eiffel, aussi solennelles qu’un Panthéon, aussi coquines qu’une danseuse du French cancan, aussi chaudes qu’un croissant dégusté dans un café douillet de la Rive Gauche, aussi….
Etudiante 2 :
…. Aussi compliquées qu’une syntaxe irrégulière faite de
mots composés dérivés de noms dont la variabilité dépend de la nature première
non soumise au double-sens du syntagme adjectival formé d’adjectif qualificatif
et de participe passé !
Etudiante 1 :
C’est
quoi ce bordel ?
Etudiante 2 :
Et ben
c’est la langue française ! TA langue française, NOTRE belle et élégante
langue française ! Tu essayes de voir le bon côté des choses et tu oublies
en un clin d’œil tous les supplices
endurés durant dix-huit ans ! Moi, je ne peux pas oublier ! C’est de
la souffrance au quotidien, du sadisme pur et dur !
Etudiante 1 :
Chuuuut !
Tu vas te faire des ennemis !
Etudiante 2 :
Mais non ! J’en veux à la langue française, moi, pas aux francophones ! Eux, ce sont des victimes… tout comme nous… Voilà ! Pourrais-tu m’expliquer pourquoi le mot « victime » est toujours au féminin, même si la victime c’est un homme ?
Etudiante 1 :
Qu’est-ce
que j’en sais moi ! Euh… Peut-être c’est pour être équitable…
Etudiante 2 :
Equitable ?
Etudiante 1 :
Ben oui…
du moment que le mot « assassin » est toujours au masculin, même si
c’est une femme… Alors voilà, on répartit les tâches et tout le monde est
content !
Etudiante 2 :
Tu
penses ? Et qu’en est-il alors des mots « auteur »,
« professeur », « docteur », qui sont toujours au
masculin ? Ouais je sais que les féministes ont essayé de remédier à cela
en ajoutant un « e », mais bon ça choque les puristes… alors…
Etudiante 1 :
C’est quoi
les puristes ?
Etudiante 2, ironique :
Ce sont
les gens purs, quoi… Ceux qui
nous ont fait chier pendant dix-huit ans !
Etudiante 1 :
Les
purs ?
Etudiante 2 :
Ben oui…
Un jour un pur a eu la brillante idée d’inventer le français, et il a pourri la
vie à plein de générations ! Du coup un autre pur s’y est mis, puis un
troisième, puis d’autres ont suivi et voilà !
Etudiante 1 :
Et si on
suit pas on est des impurs ?
Etudiante 2 :
Tout à
fait ! T’as oublié lorsqu’à l’école on nous mettait au pied du mur comme
des pestiférés car on avait dit « vous faisez » et « vous
disez » au lieu de « vous faites » et « vous
dites » ? Car un beau jour un pur a décidé que tous les verbes
français devaient se terminer en –ez à la 2ème personne du pluriel
sauf « faire » et « dire », va savoir pourquoi !
Etudiante1 :
Moi c’est
le « ent » qui me met dans tous mes états ! J’ai jamais compris
pourquoi dans « lentement », « doucement »,
« rapidement » on le prononce et dans le pluriel des verbes on
l’écrit pareil mais on le prononce pas ! Et gare à se tromper ! Les
purs te sautent dessus comme des fous !
Etudiante 2 :
Ah !
mais ça c’est rien du tout comparé à l’orthographe de « Dix ».
Comment on écrit « dix » ?
Etudiante 1 :
« D »…
« I »… « X »
Etudiante 2 :
Justement ! On écrit « x » et on prononce
« s » ! Et ce n’est pas tout ! Si c’est « une
dizaine » on écrit « z » et on prononce « z »… T’y
comprends quelque chose toi ??
Etudiante 1 :
Attends !
T’as oublié « un dixième » ! Tu écris « x » et tu
prononces « z » !!!
Etudiante 2 :
Et puis ils se disent purs !!! Il nous prennent pour qui là ?
Etudiante 1 :
Pour des
impurs de la pire race qui soit ! Des cochons, des débauchés, des
impudiques, des pécheurs !
Etudiante 2 :
Comment ça
« des pécheurs » ?
Etudiante 1 :
« Pécheur »,
avec un accent aigu ! Du verbe « pécher », tout court, pas
« pêcher des poissons » !
Etudiante 2 :
« Ah !
« pécher »… On l’appelait comment ce truc ?
Etudiante 1 :
Quel
truc ? Les pécheurs ?
Etudiante 2 :
Mais
non !! Les mots qui se prononcent de la même façon mais qui ont un sens
différent !!
Etudiante 1 :
Ah les
homonymes ! Sacrés homonymes !! Qu’est-ce que j’en ai
pâti !! Tu la connais toi une langue où un mot prononcé « ver »
peut avoir 10 sens différents ???!!!
Etudiante 2 :
Et pis on nous punit parce qu’on a des zéros en dictée !! Un connard a décidé que ça fait beaucoup plus pur d’écrire « ver » de 36 façons différentes et c’est nous qui sommes punis ! « T’es nul !!!!! »…. « Tu vendras des mouchoirs sur le quai d’une gare !!! » Tout cela parce que je ne savais pas sur quel «ver » miser !!!
Etudiante 1 :
Et que
dire alors des mots composés ? ça m’a donné des cauchemars je te
jure ! Le premier élément varie… Non ! C’est le deuxième !! A
moins que ça ne soit les deux… ou peut-être aucun des deux ! Et pire
encore, supposé qu’un élément soit variable et qu’il prenne donc la marque du
pluriel, c’est pas réglé !! ça aurait été trop simple !! Mais non… il
faut voir si le nom est comptable ou pas comptable !
Etudiante 2 :
Arrête !
ça me donne le vertige !
Etudiante 1 :
Espèce
d’impure !
Etudiante 2 :
Impure
toi-même ! Je parie que tu ne sais
même pas accorder le participe passé !
Etudiante 1 :
Mais si,
voyons !
Etudiante 2 :
Ok…
Comment tu accordes le participe « fait » dans la phrase…. Euh…
« Les tartes que j’ai fait » ?
Etudiante 1 :
« Faites »…
« Les tartes que j’ai faites »… Car le COD est placé avant le verbe…
C’est évident, non ?
Etudiante 2 :
Ok, prends
celle-là : « Les tartes que je me suis fait préparer »
Etudiante 1 :
Pareil. Les tartes que je me suis faites préparer !
Etudiante 2 :
Et ben
non !!! « Les tartes que je me suis FAIT préparer »… car un beau
jour un pur s’est réveillé et il a décidé que le participe du verbe
« faire » reste invariable lorsqu’il est suivi d’un infinitif… même
si le COD est placé avant le verbe !
Etudiante 1 :
Ah
oui ?
Etudiante 2 :
Et dire
que t’es sur le point d’avoir ta Licence en Lettres et Pédagogie ! T’as
pas honte ???
Etudiante 1 :
Euh… y a
plus grave dans la vie… Atchoooooummmm ! Le Coronavirus par exemple…
Etudiant 2 regarde Etudiant 1 avec suspicion…
Etudiante 2 :
Tu devrais
porter un masque… On déconne pas avec ça…
Etudiante 1 :
« Déconner »
n’est pas un mot très apprécié dans une enceinte universitaire…
Etudiante 2 :
Mais enfin ! tu la fermes ta gueule ?! 18 ans qu’on nous apprend une langue pour ensuite nous rendre compte que c’est pas celle qu’on parle en France !!! Là on est vraiment mal barrés ! je pète un câble !
Etudiante 1 :
Mais
qu’est-ce que tu dis ? je comprends rien !
Etudiante 2 :
Je parle
impur ! Je veux être impure et je réclame mon droit
à l’impureté !
Etudiante 1 :
On est
deux alors !
Les
autres étudiants rentrent sur scène un à un….
« On est trois ! »
« Quatre ! »
« Cinq ! »
« Six ! »
« Sept ! »
« Huit ! »
« Neuf ! »
En chœur : Vive les impurs !
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