Article المقال ( Août )
Article
J’ai tort mais j’ai raison !
Écrit par : Dr. Yasmine Sarwat
Maître de Conférences au Département de Français
Faculté de Pédagogie
Université d'Alexandrie
Et si tout cela n’était que chimères ?
Et si l’on passait sa vie à
défendre des convictions qui n’ont pas lieu d’être, à agir en fonction de faits
qui n’ont pas eu lieu, à concrétiser des concepts dont le contraire est tout
aussi véridique ?
Je suis lasse de me poser des
questions, lasse de constater que tout, absolument tout, dans ce voyage tout
aussi argumenté qu’est la vie, présente deux pôles antithétiques, deux voire
plus visions contradictoires, deux facettes, deux vérités.
Je n’en peux plus. Je me demande
avec scepticisme si j’aurai le temps, avant de quitter ce monde, de confirmer
au moins l’une des vérités qui me tiennent à cœur. Je dis « avec
scepticisme » parce que je me rends compte que plus j’approfondis mes
connaissances plus le dilemme s’amplifie. C’est compréhensible. L’ignorance et
l’indifférence sont les deux meilleurs palliatifs qui soient. On ne connaît
qu’une seule version de la chose, celle qu’on a apprise par le biais des autres
ou des médias, ou celle qui nous a été léguée par nos parents, nos aïeuls ou
nos aïeux. C’est la Vérité absolue, et tout va bien dans les meilleurs des
mondes.
Mais il se trouve qu’on soit
parfois doté d’un esprit critique, qu’on ait tendance à interroger, à fouiller,
à remettre en question. Et c’est là que le bât blesse : tout
s’effondre !
Non, je ne me vante pas ;
bien au contraire. Sans vouloir faire l’éloge de l’indifférence combien de fois
ai-je envié ces personnes qui profitent de la vie sans trop se demander si le
monde qui les entoure est le fruit d’un Big bang ou d’un souffle divin ;
si la Shoah a vraiment fait six millions de victimes ou si la réalité s’est,
d’une certaine façon, teintée de légende ; si les chambres à gaz
d’Auschwitz ont réellement existé tel que l’ont décrites les rescapés ou si le
mythe s’est alimenté de bouche en bouche au fil des années; si le kamikaze qui
vient de se faire sauter a agi en fonction d’un trouble mental ou à partir
d’une conviction qu’on lui aurait léguée et qu’il aurait religieusement
respectée…
On a beau se mettre en mode
révisionniste, on a beau essayer de faire table rase des préjugés et essayer de
reconstituer les faits ou reconsidérer la chose sous une lumière différente,
l’issue n’en est que plus déroutante.
Souvent, pour me réconforter, je
me répète la phrase d’Aristote « Le doute est le début de la
sagesse ». Sur le coup cela me rassure, mais, hélas ! Ce n’est
que provisoire. Il suffit de prolonger un peu la réflexion ou la recherche pour
que le doute et le scepticisme refassent surface. D’abord, je ne suis pas
Aristote. La prétendue sagesse n’est valable que pour lui et ses semblables. En
outre, même si certains dilemmes sont universels il faut convenir que l’accès à
l’information diffère considérablement de nos jours. Je ne citerai que le Web,
cet outil incroyable qui a facilité tant de choses et par ce fait même, a
dévalorisé l’information. Il suffit de se faire une idée approximative du
nombre des documents portant sur un sujet précis pour se rendre compte à quel
point la vérité a tendance à se disperser. Non seulement à cause des sources et
des informations peu fiables mais aussi pour l’infinité des points des vue avec
preuves à l’appui qui, loin de favoriser le chercheur, le traînent dans un
labyrinthe infernal.
Un exemple : Tapez sur
YouTube les mots « 11 septembre ». Sur les 20 vidéos proposées qui
constituent le résultat de la première page, deux versions parfaitement
équilibrées : celle qui en retrace le mémorial et celle qui privilégie le
complot. Même si certains documentaires sont un peu simplistes et, par
conséquent, faciles à écarter, bon nombre restent parfaitement convaincants et
les preuves difficilement contestables surtout lorsqu’on est obligé de se contenter
des moyens du bord. On est en pleine contradiction et on a beau vouloir compter
sur nos facultés déductives et synthétiques pour essayer de s’en sortir, les
points d’interrogation surgissent de toutes parts et l’on est englouti par la
multiplicité des approches et des points de vue. Il en va de même pour le mot
« Shoah » ou « Holocauste ».
Je ne peux m’empêcher de me
demander comment font certains pour adopter une position plutôt qu’une autre
sans avoir vécu l’événement ou sans avoir des preuves irréfutables (Je me
réfère évidemment aux thèmes polémiques car, généralement parlant, il est
honorable et légitime de privilégier un certain point de vue bien
évidemment). Le fait est que, à moins de savoir, il est
carrément impossible de confirmer.
Cette thèse est valable pour
tout ce qui, dans l’histoire de l’Humanité, prête à polémique, et du moment
qu’il existe peu de faits historiques incontestables – encore qu’il y en
ait ! – cela semble s’étendre à la totalité de notre existence. Lorsque je
dis « histoire », je prends également en compte l’actualité, partant
du fait qu’elle appartient désormais à l’histoire puisque le fait a déjà eu
lieu.
On est ainsi prisonnier de notre
curiosité et de notre esprit de recherche. Plus on creuse, plus on s’engouffre.
Et à moins d’avoir la chance de tomber sur le petit détail qui nous permette de
dérouler le fil d’Ariane, c’est peine perdue ! Certes, il y a d’autres
facteurs qui pourraient se révéler cruciaux : l’intuition, la culture générale,
le degré d’intelligence, la connaissance du contexte, la vision
empirique ; mais très souvent, ils ne fournissent qu’une vérité partielle
laissant dans le noir ou dans le flou un ou plusieurs éléments.
Et là on ne peut s’empêcher de
se demander à quel point la version officielle de l’histoire laisse à désirer.
Cette histoire qui a été écrite par les vainqueurs – on le sait – mais qui a
également dû traverser de grandes étendues d’eaux incertaines avant d’arriver à
bon port.
Quelle mesquinerie finalement
que cette Vérité pour laquelle on se bat quotidiennement aux quatre coins du
globe, en en tirant des conclusions qui serviront d’hypothèse à d’autres
raisonnements, à d’autres attitudes ou positions. Combien de personnes et
combien de peuples ont dû être catalogués juste parce qu’on a décidé d’adopter
un certain point de vue, qui est celui de notre société, de notre religion ou
tout simplement, celui de nos parents ! Combien d’injustices ont-elles été
commises au nom d’un préjugé ? Combien d’attitudes sectaires, racistes,
intolérantes, méprisantes, réductrices ?
Peut-être que la seule vérité
absolue ici-bas c’est justement son inexistence. Les palestiniens ont raison de
réclamer leur terre violée; les israéliens ont
raison de défendre la terre où ils sont nés. Les Occidentaux ont raison
d’appréhender l’Islam dont le nom s’est fatalement mêlé aux actes terroristes,
les musulmans ont raison de défendre leur religion qu’ils trouvent accusée à
tort. Les chrétiens d’Egypte ont raison de se sentir persécutés et menacés, les
musulmans d’Egypte ont raison de vouloir clamer leur innocence.
Tout est légitime, ainsi que son
contraire. C’est fou ! Et pourtant c’est la seule réalité qui semble avoir
un sens…
Je ne sais pas si j’aurai un jour
l’opportunité de confirmer quoi que ce soit, mais je suis certaine au moins
d’une chose : On a tous tort et on a tous raison. Ce qui n’est pas valable
pour nous l’est aux yeux de certains, l’angle de vision n’est pas le même pour
tout le monde et la perspective unique n’existe pas.
Vive la tolérance et vive la
différence qui n’est finalement que le revers de la médaille.
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