Pédagogie. ( Mai )
Pédagogie.
Chagrin d’école ? Ras-le-bol !
Écrit Par : Mona Magdalany.
Consultante en systèmes éducatis et formations
Co-Présidente - Comité FESTIF - ARTDRALA
Auteure et metteure en scène
“ Oui, tu as raison, je suis bien le méchant que tu dis, pire même, si tu savais » Chagrin d’école- Daniel Pennac
Voilà là où on amène les jeunes ; « on » étant des adultes responsables, essentiellement dans la vie scolaire, mais aussi, dans la vie familiale.
Il s’agit des - ainsi appelés - coquins, cancres, vilains, turbulents,
vaut-rien, perdants, stupides, insolents et la liste est longue et témoigne de
beaucoup de créativité de la part des professeurs pour punir cette catégorie à
éliminer, pour les marginaliser et les exclure du monde des idéaux, des
premiers, des sages, bref des « bons »
Et si nous faisions le plongeon dans l’esprit d’un cancre ?
C’est d’un enfant vif dont il est question, habile, voire imbattable aux
jeux, rieur, farceur, sympa, sociable et amical ; même s’il est question
d’un rebel, cela ne veut-il pas dire que les caractéristiques d’un embryon de
leader y sont ? Pourquoi faudrait-il classer toute la génération entre les
deux rails du chemin de fer ? Pourquoi faudrait-il leur exiger de « faire
ce qu’il faut » et d’ « être poli » pour
être accepté – sachant que ces deux impératifs sont excessivement relatifs et
ne relèvent que de la subjectivité de l’un et de l’autre.
Ces élèves ont, non seulement, le droit d’être différents, d’être acceptés
différents, mais aussi, d’avoir la lumière jetée sur leur différence qui
constitue leur point fort. Selon Tahar Ben Jelloun dans Le racisme
expliqué à ma fille « La richesse est dans la différence».
Ces élèves sont ceux qui – le plus probable – réussiront leur vie
professionnelle beaucoup mieux que ceux du par cœur et de la note finale tout
simplement parce qu’ils auront acquis et renforcé les compétences du
savoir-faire et du savoir-être que les autres auront ratées aux dépends des
compétences du savoir
Ces élèves sont ceux qui possèdent les clés de l’équilibre moral et
émotionnel de la classe
Punition sur l’autre, agression (oui, ce qu’ils reçoivent des adultes,
c’est de l’agression) sur l’autre, harcèlement moral sur l’autre, les
professeurs finissent, non par dompter la bête, mais par créer un fauve :
le méchant rebel est né. Est né celui qui s’est construit des mécanismes de
défenses qui vont faire qu’aucune autre agression n’aura un effet. « Qu’on
le traite de lâche,dit Daniel Pennac, de voleur, de menteur ou de de
quoi que ce soit d’autres… ne le touche guère ». Ces mécanismes de
défense vont faire que l’interpellation pour un grondement sera une distinction
et la punition sera un acte héroïque à applaudir. Et si on accuse quelqu’un
d’autre à sa place… il ne se dénonce pas, C’est qu’il s’est fait une raison de
sa solitude et qu’il a enfin cessé d’avoir peur, reprend Pennac dans son
autobiographie Chagrin d’école
Cesser d’avoir peur, qu’est-ce que c’est catastrophique ! Un
changement de 180˚ : la maîtrise de la situation n’est plus entre les
mains du professeur ou de tous les adultes qui tendent les bras et dressent
l’index pour cumuler les accusations, les plaintes, les reproches et les
punitions. Les apparences sont bien trompeuses. C’est le « nul » qui
maîtrise la situation : débarrassé de sa peur et n’ayant plus rien à
perdre dans l’enjeu scolaire officiel (il a déjà tout perdu : notes,
reconnaissance, cadeau..) il se lance avec bravoure dans l’enjeu du défi avec
les grands. Et là, vous avez ma parole, la victoire est toujours du côté de
l’élève. Ne sommes-nous pas bien d’accord que le mal est plus facile que le
bien ? Plus intéressant aussi, non ?
…Pour en arriver là :
“ Oui, tu as raison, je suis bien le méchant que tu dis, pire même, si tu
savais »
Bravo à l’adulte qui au lieu de canaliser l’énergie et l’intelligence, au
lieu de bénir la singularité, au lieu de se décarcasser pour contenir les
résultats fâcheux d’une vie en famille pas facile, au lieu de laisser
chatouiller son intellect par un cas dont un autre professeur est responsable,
au lieu d’écouter la voix de l’éducateur en lui, au lieu d’être fidèle à sa
mission, s’est livré à un conflit personnel avec un mineur et a ainsi préparé
la bonne recette du Monstre. Tout cela parce son amour propre n’a pas pu
surmonter l’idée qu’une créature échappe à son contrôle.
Il est vrai qu’au début de ma carrière d’enseignante – vingt ans
déjà ! – j’ai failli tomber dans ce piège. Combien de fois, j’ai dû faire
de l’effort pour sortir du cercle infernal du conflit personnel, celui de se
sentir offensé par l’élève et du coup mobiliser toutes ses ressources pour
répondre. A chaque fois, je me disais que c’est pas du MOI qu’il s’agissait,
que c’est peut-être de la figure maternelle que j’incarnais, de l’autorité de
l’adulte que je représentais, de la discipline que j’enseignais, d’un mot que
j’ai prononcé ; mais ce n’est pas du MOI. Conséquence, je me mettais du
côté de la plaisanterie de l’élève ou même de son attaque – pas en face, et
sortais ainsi du cercle du but à atteindre. Même quand il s’avérait de gronder,
comme le disait le Père Henri Boulad, je me mettais en colère de l’extérieur,
je ne laissais pas l’émotion me contrôler, d’où vient le fait de gronder à
droite et de rigoler à gauche, une seconde plus tard.
Etais-je une élève de cette catégorie, ce qui expliquerait toute cette
défense ? Pas du tout ! J’étais parmi les premières, sinon la
première. C’est le métier m’a transformée. Le métier, n’étant pas expliquer une
leçon de grammaire mais être actrice au sein d’une usine d’êtres humains, de
futures décoristes, pharmaciennes, dessinatrices, chanteuses, médecins,
chorégraphes, enseignantes, ou tout simplement femme.
J’ai compris par la magie du contact humain avec ces femmes en herbe que la
situation gagnant-gagnant est la meilleure : leur assurer l’environnement
qui tolère tout, au début, pour pouvoir guider et éclairer, après, et m’assurer
par la suite la paix dépourvue de tout conflit personnel. C’est une agréable
concentration non-stop.. Cette remise en question, cette distanciation, cet
apprentissage renouvelé puisque chacun est unique, ce défi avec soi pour faire
face à l’inconnu chaque jour.
Pour en voir l’effet et l’impact, je ne parlerai pas d’élèves qui
détestaient le français et qui en sont devenues enseignantes brillantes, ni de
marginalisées devenues les leaders de la classe, ni de désintéressées étant
devenues des passionnées, mais de parlerai de Pennac, lui-même jugé cancre par
tous sauf un enseignant qui a fait de lui l’auteur qu’il est devenu, expérience
transformante racontée dans son autobiographie pour laquelle il choisit comme
titre… « Chagrin
d’école »
A méditer.
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